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Marcus Junianus Justinus
Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée.
texte établi et traduit par Marie-Pierre Arnaud-Lindet.

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Livre XVIII

Guerres de Pyrrhos. Débuts de l'histoire de Carthage, Expédition de Pyrrhos en Italie, 1,1—Les victoires de Pyrrhos 1,4—Activité diplomatique des Carthaginois, 2,1—Paix entre Pyrrhos et les Romains 2,6—Pyrrhos passe en Sicile, 2,11—Histoire des Tyriens 3,1—Histoire de l'esclave de Straton, 3,8—Alexandre et les Tyriens, 3,17—Fondation d'Utique, 4,2—Histoire d'Élissa 4,3—Fondation de Carthage 5,8—La demande en mariage du roi Hiarbas, 6,1—Suicide d'Élissa 6,6—Jugement sur Carthage, 6,9—Histoire de Mazeos et de Karthalon, 7,1.


1 2 3 4 5 6 7

Expédition de Pyrrhos en Italie 1,1 Donc, alors que Pyrrhos, roi d'Épire, était harcelé par une nouvelle ambassade des Tarentins, à laquelle s'ajoutaient les prières des Samnites et des Lucaniens qui avaient également besoin de secours contre les Romains, il s'engage à venir avec une armée, conduit non pas tant par les prières des suppliants que par l'espoir de prendre pied en Italie. 2 Les exemples de ses prédécesseurs avaient commencé à le pousser la tête la première dans cette entreprise, une fois que son esprit l'eût envisagée, pour ne pas paraître inférieur à son oncle Alexandre1 dont ces mêmes Tarentins avaient usé comme défenseur contre les Bruttiens, ou bien paraître avoir eu moins de courage qu'Alexandre le Grand qui soumit l'Orient par une campagne militaire si éloignée de sa patrie.

3 Donc, ayant laissé la garde du royaume à son fils Ptolémée2, âgé de quinze ans3, il débarque son armée dans le port de Tarente4; il avait emmené avec lui ses deux jeunes fils Alexandre5 et Hellènos6, en réconfort d'une expédition lointaine.

Les victoires de Pyrrhos 4 Ayant appris son arrivée, le consul romain Valérius Levinus7, se hâtant afin de le rencontrer avant que les troupes auxiliaires de ses alliés aient fait leur jonction, forma son armée en ligne de bataille. 5 Et le roi, bien qu'inférieur par le nombre de ses soldats, ne retarda pas le combat8. 6 Au contraire, il remplit d'abord de stupeur les Romains, en train de remporter la victoire, par l'apparence alors insolite des éléphants, puis il les contraignit à céder le terrain, et les monstres nouveaux des Macédoniens vainquirent soudain les vainqueurs. 7 Et la victoire fut ensanglantée pour les ennemis. En effet, Pyrrhos lui-même fut également blessé grièvement et une grande partie de ses soldats fut tuée et il eut plus de gloire que de joie de sa victoire9.

8 Beaucoup de cités, ayant suivi l'issue de cette bataille se livrent à Pyrrhos ; 9 entre autres, Locres fait défection à Pyrrhos, après avoir livré sa garnison romaine. 10 De ce butin, Pyrrhos renvoya sans rançon à Rome deux cents soldats prisonniers, afin que les Romains, ayant appris à connaître sa valeur militaire, connaissent aussi sa générosité.

11 Quelques jours s'étant passés, alors que l'armée des alliés était arrivée, il livra à nouveau aux Romains un combat au cours duquel la fortune fut la même que dans la première bataille10.

Activité diplomatique des Carthaginois
2,1 Entre temps, le général des Carthaginois Magon, envoyé au secours des Romains avec cent vingt navires, se présenta au sénat, déclarant que les Carthaginois supportaient mal que les Romains permettent en Italie cette guerre faite par un roi étranger. 2 Il avait été envoyé pour cette raison, afin qu'ils soient aidés par des auxiliaires étrangers, puisqu'ils étaient attaqués par un ennemi étranger. 3 Grâces furent rendues aux Carthaginois par le sénat, et les auxiliaires furent renvoyés.

4 Cependant Magon, d'un esprit punique, après être resté quelques jours sans rien dire, va trouver Pyrrhos comme s'il était le négociateur de paix des Carthaginois : il voulait découvrir ses desseins sur la Sicile, où le bruit courait qu'il était appelé11. 5 En effet les Carthaginois avaient eu le même motif d'envoyer des auxiliaires aux Romains, afin que Pyrrhos soit retenu en Italie par la guerre romaine pour qu'il ne puisse pas passer en Sicile.

Paix entre Pyrrhos et les Romains 6 Pendant que cela se passe, Fabricius Muscinus, envoyé en ambassadeur par le sénat romain, conclut la paix avec Pyrrhos12. 7 Cinéas, envoyé pour la confirmer à Rome par Pyrrhos avec des présents considérables, ne trouve personne dont la maison soit ouverte aux cadeaux.

8 Il y a, vers la même époque, un exemple qui est similaire à la retenue des Romains13. 9 En effet, alors que les ambassadeurs envoyés en Égypte par le sénat avaient dédaigné les présents considérables envoyés par le roi Ptolémée14, après quelques jours, étant invités à un banquet, des couronnes d'or leur furent envoyées et après les avoir acceptées à titre de présage15, ils les placèrent le lendemain sur les statues du roi.

10 Donc alors que Cinéas avait reformulé avec les Romains la paix mise à mal par Appius Claudius16, il fut interrogé par Pyrrhos sur ce qu'était Rome ; il répondit qu'il avait vu une ville de rois.

Pyrrhos passe en Sicile 11 Après cela, les ambassadeurs des Siciliens arrivent, livrant à Pyrrhos le pouvoir sur toute l'île qui était malmenée par les guerres continuelles des Carthaginois. 12 C'est pourquoi, ayant laissé à Locres son fils Alexandre et affermi les cités des alliés avec une garnison solide, il fit passer son armée en Sicile17.

Histoire des Tyriens
3,1 Et puisqu'on est arrivé à mentionner les Carthaginois, il faut dire quelques mots de leur origine, en reprenant un peu plus haut l'histoire des Tyriens dont les malheurs furent également douloureux.

2 Le peuple des Tyriens fut fondé par des Phéniciens 3 qui malmenés par un tremblement de terre, abandonnèrent le sol de leur patrie et s'installèrent d'abord près de l'étang syrien puis sur le rivage proche de la mer ; 4 ils y fondèrent une ville qu'ils nommèrent Sidon à cause de l'abondance de poissons, car les Phéniciens appellent le poisson Sidon.

5 Ensuite, après de nombreuses années, pris d'assaut par le roi des Ascaloniens, repoussés sur leurs navires, ils fondèrent la ville de Tyr, un an avant le désastre de Troie.

6 Là, harcelés par les guerres des Perses pendant longtemps et de manière variée, ils furent certes vainqueurs mais, leurs troupes étant épuisées, ils subirent de la part de leurs esclaves, qui abondaient en multitude, d'indignes supplices ; 7 ayant fait une conspiration, les esclaves assassinent toute la population libre, avec leurs maîtres, et ainsi en possession de la ville, ils occupent les foyers de leurs maîtres, s'emparent de l'état, prennent des épouses18 et engendrent des hommes libres, ce qu'eux-mêmes n'était pas.

Histoire de l'esclave de Straton 8 Parmi tant de milliers d'esclaves, il en fut un, à l'âme douce, pour s'émouvoir de l'infortune de son vieux maître et du jeune fils de ce dernier et pour considérer ses maîtres, non pas avec une cruelle férocité, mais avec la pieuse bonté de la pitié. 9 C'est pourquoi, alors qu'il les avait mis à l'écart, comme s'ils avaient été tués, et qu'il avait plu aux esclaves, qui délibéraient sur le statut de l'état, de créer un roi pris dans leur groupe, et de préférence, en tant que le mieux reçu par les dieux, celui qui, le premier, aurait vu le soleil se lever, il rapporta l'affaire à son maître Straton — tel était en effet son nom — qui se cachait secrètement. 10 Alors que tous s'étaient avancés dans la plaine, l'esclave, instruit par son maître, était le seul à fixer la région de l'occident, tandis que tous les autres regardaient vers l'orient. 11 Chercher le lever du soleil à l'occident paraît d'abord aux autres de la folie, 12 mais quand le jour commence à arriver et, en se levant, à briller sur les toits les plus élevés de la ville, pendant que les autres regardent pour apercevoir le soleil lui-même, il est le premier de tous à montrer l'éclat du soleil, sur les plus hauts faîtes de la cité. 13 La méthode ne sembla pas émaner d'une intelligence servile ; à ceux qui s'enquièrent de l'inventeur, il avoue à propos de son maître. 14 On comprit, alors, combien l'intelligence des hommes de naissance libre l'emporte sur celle des esclaves, et que les esclaves avaient vaincu par leur malignité, non pas par leur sagesse.

15 En conséquence, il fut fait grâce au vieillard et à son fils, et, jugeant qu'ils avaient été sauvés comme en vertu de quelque puissance divine, ils créèrent Straton roi. 16 Après la mort de celui-ci, le pouvoir royal passa à son fils, et ensuite à ses petits enfants.

Alexandre et les Tyriens 17 Ce forfait des esclaves fut célèbre et un exemple redoutable dans le monde entier. 18 De ce fait, alors que, du temps s'étant passé, Alexandre le Grand faisait la guerre en Orient, en tant que vengeur de la sécurité publique il fit mettre en croix, après la prise de leur ville, tous ceux qui avaient survécu au combat, en mémoire de l'ancien massacre. 19 Il épargna seulement la famille de Straton et rendit le pouvoir royal à sa descendance, les habitants de naissance libre et innocents d'une île ayant été intégrés à la ville afin de rétablir dans son intégrité la race après en avoir extirpé le germe servile19.

4,1 Les Tyriens, établis de cette manière sous les auspices d'Alexandre prospérèrent rapidement par l'économie et le travail.

Fondation d'Utique 2 Lorsque, avant le massacre des maîtres, ils abondaient en richesse et en nombre, ils fondèrent Utique avec des jeunes gens qu'ils avaient envoyés en Afrique20.

Histoire d'Élissa 3 Entre temps, le roi21 mourut à Tyr, après avoir institué comme héritiers son fils Pygmalion et sa fille Élissa, une vierge d'une remarquable beauté. 4 Mais le peuple remit le pouvoir royal à Pygmalion, un enfant encore. 5 Quant à Élissa, elle épousa son oncle maternel Acherbas, le prêtre d'Hercule qui était le second en dignité après le roi. 6 Il avait de grandes richesses mais elles étaient cachées et, par crainte du roi, il avait confié son or à la terre, et non à des toits ; 7 et cela, même si les hommes l'ignoraient, le bruit en courait cependant. 8 Excité par cela, Pygmalion, ayant oublié le droit humain, tue son oncle qui était aussi son beau-frère22 sans respect des obligations familiales.

9 Élissa, s'étant longtemps détournée de son frère à cause du crime, ayant à la fin dissimulée sa haine et composé pendant ce temps son visage, prépare sa fuite sans rien dire, s'étant associée des princes dont elle pensait qu'ils avaient la même haine pour le roi et le même désir de fuite. 10 Alors, elle cherche, avec ruse, à circonvenir son frère ; elle feint de vouloir venir s'installer auprès de lui, afin que la maison de son époux ne lui ravive la dure image du deuil, à elle qui est désireuse d'oubli, et afin qu'un amer rappel ne lui vienne plus devant les yeux. 11 Pygmalion écoute sans déplaisir les paroles de sa sœur, estimant qu'avec elle, viendra aussi l'or d'Acherbas. 12 Mais, au crépuscule, Élissa place sur des navires les hommes chargés par le roi de son transport, avec toutes ses richesses, et arrivée au large, elle les oblige à jeter à la mer des fardeaux — de sable, à la place de l'argent — enveloppés dans des bâches. 13 Alors, en pleurs, elle appelle Acherbas d'une voix funèbre ; elle le prie de recevoir de bon gré ses richesses qu'il avait abandonnées et de les avoir comme sacrifice à ses mânes, elles qui avaient été la cause de sa mort23.

14 Alors, elle va trouver les hommes du roi eux-mêmes ; une mort, jadis souhaitée, la menaçait, certes, mais pour eux, qui avaient soustrait à la cupidité du tyran les richesses d'Acherbas, richesses pour lesquelles le roi avait commis un parricide, c'était d'amères tortures et de cruels supplices qui les menaçaient. 15 Une fois cette peur jetée en eux tous, elle les prend comme compagnons de sa fuite. Il s'y joint aussi les colonnes de sénateurs préparées pour cette nuit, et après avoir été chercher les objets sacrés d'Hercule, dont le prêtre avait été Acherbas, ils cherchent un lieu pour leur exil.

5,1 Ils touchèrent terre en premier à l'île de Chypre, 2 où le prêtre de Jupiter, avec son épouse et ses enfants, s'offre à Élissa, sur l'ordre du dieu, comme compagnon et associé à sa fortune, après avoir négocié pour lui et sa descendance la dignité perpétuelle de la prêtrise du dieu. 3 La clause fut acceptée comme un présage évident.

4 Il était de coutume à Chypre d'envoyer sur le rivage de la mer les vierges avant leurs noces, à dates déterminées, pour chercher dans la prostitution l'argent de leur dot ; elles acquittaient des offrandes à Vénus au nom du reste de leur pudeur. 5 Donc, Élissa ordonne de mettre sur les navires environ quatre-vingts vierges enlevées de cette troupe, afin que les jeunes gens puissent se marier et la ville avoir une progéniture.

6 Tandis que cela se passe, comme Pygmalion, ayant appris la fuite de sa sœur, s'était préparé à poursuivre la fuyarde par une guerre impie, il fut difficilement apaisé, vaincu par les prières de sa mère et les menaces des dieux ; 7 comme les devins inspirés lui avaient prédit par leurs chants qu'il ne l'emporterait pas impunément s'il interrompait les développements de la ville la mieux auspiciée dans le monde entier, les fuyards eurent, de cette manière un moment pour reprendre leur souffle.

Fondation de Carthage 8 Ainsi, Élissa, transportée dans le golfe de l'Afrique, sollicite l'amitié des habitants de cet endroit, qui se réjouissaient de l'arrivée d'étrangers et du commerce de biens d'échange ; 9 ensuite, ayant acheté l'emplacement qui pourrait être couvert par une peau de bœuf24, sur lequel elle pourrait refaire les forces de ses compagnons, épuisés par une longue navigation, jusqu'à ce qu'elle s'en aille, elle ordonne de découper la peau en très fines lanières et, ainsi, elle s'empare d'un espace plus grand que celui qu'elle avait demandé ; de là vient que, par la suite, on donna à ce lieu le nom de Byrsa. 10 Ensuite, les voisins de ces lieux, qui par espoir de gain apportaient beaucoup de marchandises aux hôtes, accourant en foule et s'installant là, 11 il se fit par l'affluence des hommes comme une espèce de cité. 12 Les ambassadeurs des gens d'Utique, pour leur part, apportèrent des présents, comme à des parents, et les engagèrent à fonder une ville là où le sort avait fixé leur résidence. 13 Mais les Africains se prirent d'un vif désir de retenir aussi les arrivants.

14 C'est pourquoi, du consentement de tous, Carthage est fondée, après fixation d'un tribut annuel en contrepartie du sol de la ville. 15 Dans les premières fondations, on trouva une tête de bœuf, ce qui était le présage d'une ville prospère, certes, mais laborieuse et pour toujours esclave ; à cause de cela, la ville fut transférée sur un autre emplacement, 16 où une tête de cheval découverte25, signifiant que le peuple serait guerrier et puissant, donna à la ville une implantation auspiciée.

17 Alors, les peuples affluant selon la réputation de la nouvelle ville, en peu de temps il y eut des citoyens et une grande cité.

La demande en mariage du roi Hiarbas
6,1 Alors que les Carthaginois avaient des ressources florissantes par le succès de leurs affaires, le roi des Maxitans, Hiarbas, ayant fait venir auprès de lui dix princes puniques, demande en mariage Élissa sous peine d'une déclaration de guerre. 2 Les ambassadeurs craignant de rapporter cette demande à la reine agirent avec elle selon l'esprit punique : ils annoncent que le roi réclame quelqu'un qui lui enseigne, ainsi qu'aux Africains, un genre de vie plus civilisé, 3 mais qui pourrait-on trouver qui voudrait quitter ses parents par le sang et aller chez des barbares, vivant, qui plus est, à la manière des bêtes sauvages ? 4 Réprimandés alors par la reine de refuser une vie plus âpre pour le salut d'une patrie à laquelle était due la vie même si la situation l'exigeait, ils découvrirent les injonctions du roi, en disant que ce qu'elle ordonnait aux autres, il lui fallait elle-même l'accomplir si elle voulait veiller à la ville. 5 Prise par cette ruse, après avoir longtemps invoqué le nom de son époux Acherbas avec bien des larmes et un gémissement lamentable, elle répondit à la fin qu'elle irait où l'appelait son destin et celui de la ville.

Suicide d'Élissa26 6 Au bout d'un délai de trois mois, ayant fait dresser un bûcher funéraire dans la partie la plus élevée de la ville comme pour apaiser les mânes de son époux et lui dédier avant les noces des sacrifices funéraires, elle immole de nombreuses victimes et, ayant pris un glaive, elle monte sur le bûcher, 7 et, regardant le peuple d'en haut, elle dit qu'elle allait vers son époux, comme ils l'avaient ordonné, et mit fin à sa vie avec un glaive. 8 Aussi longtemps que Carthage resta invaincue, elle fut honorée comme une déesse.

Jugement sur Carthage 9 Cette ville fut fondée soixante-douze ans avant Rome27 10 et, de même que sa valeur s'illustra à la guerre, de même son gouvernement fut agité à l'intérieur par les atteintes variées des dissensions. 11 Alors qu'entre autres maux, ils étaient même travaillés par la peste, ils usèrent en guise de remède de cérémonies religieuses sanglantes et de crimes, 12 puisqu'ils immolaient des hommes comme victimes et amenaient aux autels des enfants impubères, d'un âge qui provoque la pitié, même des ennemis, demandant la paix des dieux en versant le sang de ceux pour la vie desquels les dieux sont d'habitude le plus suppliés.

Histoire de Mazeos et de Karthalon
7,1 C'est pourquoi, les puissances divines s'étant détournées d'un si grand crime, alors qu'ils avaient longuement combattu sans succès en Sicile, ils transférèrent la guerre en Sardaigne et furent vaincus dans une dure bataille après avoir perdu la plus grande partie de leur armée ; 2 à cause de cela, ils ordonnèrent d'exiler, avec la partie de l'armée qui avait survécu, leur général Mazeos28, sous les auspices duquel ils avaient dompté une partie de la Sicile et accompli de grands exploits contre les Africains.

3 Les soldats, qui supportaient difficilement cette décision, envoient des délégués à Carthage, qui demandent, d'abord, le retour et la grâce de la troupe infortunée, puis proclament qu'ils obtiendront par les armes ce qu'ils ne pourraient avoir par leurs supplications. 4 Comme les supplications et les menaces des délégués avaient été rejetées avec mépris, au bout de quelques jours, les soldats, s'étant embarqués, approchent en armes de la ville ; 5 là, ils attestèrent les dieux et les hommes qu'ils ne venaient pas pour s'emparer de leur patrie, mais pour la recouvrer, et pour montrer à leurs concitoyens que ce n'était pas le courage qui leur avait manqué dans la guerre précédente, mais la bonne fortune ; 6 en coupant les approvisionnements et en assiégeant la ville ils amenèrent les Carthaginois au plus haut point du désespoir.

7 Pendant ce temps, alors que Karthalon, le fils du général exilé Mazeos, passait devant le camp de son père en revenant de Tyr où il avait été envoyé par les Carthaginois porter à Hercule29 les dîmes sur le butin de Sicile que son père avait pris, et qu'il avait été appelé par son père, il répondit qu'il devait exécuter d'abord les devoirs de la relivion civique avant ceux de la piété filiale privée. 8 Bien que le père trouva la chose choquante, il n'osa cependant pas faire violence à la religion. 9 Des jours s'étant passés, alors que, le peuple ayant réclamé des vivres, Carthalon était revenu auprès de son père et qu'il se présentait aux yeux de tous paré de la pourpre et des insignes du sacerdoce, à ce moment son père lui dit après l'avoir emmené à l'écart :

10 "As-tu bien eu l'audace, tête très impie, paré de ta pourpre et de ton or, venir devant les regards de tant de malheureux citoyens et pénétrer dans un camp désolé et en larmes comme quelqu'un qui est plein de joie, les insignes d'une quiète félicité flottant autour de toi ? N'as-tu pu parader nulle part ailleurs ? 11 N'y avait-il aucun moment plus adapté que le deuil du père et les malheurs d'un exil infortuné ? 12 Et que dire de ce que, appelé peu auparavant, tu as orgueilleusement méprisé, je ne dis pas ton père, mais le général de tes concitoyens ? 13 Enfin, que portes-tu, toi, dans ta pourpre et tes couronnes, d'autre que les titres de mes victoires ? 14 Puisque donc, toi, tu ne reconnais dans ton père rien d'autre que le nom d'un exilé, moi, pour ma part, je m'estimerai généralissime plus que père et je déciderai de faire un exemple contre toi afin que, après cela, personne ne raille les malheurs infortunés de son père."30 15 Et ainsi, il ordonna de le clouer avec ses ornements sur une très haute croix, en vue de la ville.

16 Ensuite, après quelques jours, il prend Carthage et, après avoir convoqué le peuple en assemblée, il se plaint de l'injustice de son exil, allègue comme excuse la nécessité de la guerre et dit que, se contentant de sa victoire, il fait grâce à tous, une fois punis les auteurs de l'exil injuste de malheureux citoyens. 17 Et ainsi, après l'exécution de dix sénateurs, il rendit ses lois à la ville.

18 Peu après, accusé lui-même d'avoir aspiré au trône, il paya le prix de son double parricide, sur son fils et sur sa patrie. 19 Magon31 lui succéda comme généralissime ; du fait de son activité, les richesses des Carthaginois, les frontières de l'empire et les louanges de gloire militaire s'accrurent.


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1 Alexandre le Molosse, cf. supra
17,3,14-16 pour le lien familial erroné établi par Justin entre Pyrrhos et le roi d'Épire Alexandre Ier.

2 Ptolémée (296-272) est le fils de la première épouse de Pyrrhos, Antigonè.

3 Voir 17,2,15 où Trogue Pompée suit une autre source.

4 En mai 280 a.C.

5 Alexandre II (né c.294, † c.250), fils de Lanassa, la deuxième épouse de Pyrrhos.

6 Hellènos est le fils de la troisième épouse de Pyrrhos, Bircenna.

7 P. Valerius Laeuinus, consul en 280 a.C.

8 Le corps expéditionnaire de Pyrrhos comptait 20 ou 50 éléphants, 3000 cavaliers et 23500 fantassins

9 La bataille d'Héraclée, en juil. 280, est une lourde défaite romaine : le consul s'enfuit du champ de bataille, et Pyrrhos fit beaucoup de prisonniers.

10 S'il s'agit bien de la bataille d'Ausculum, livrée pendant l'été 279, sous le consulat de P. Sulpicius Caverrio et P. Decius Mus, il y a un hiatus chronologique d'un an qui indique que Justin a procédé à une coupure importante dans le texte de Trogue Pompée.

11 Sous la menace carthaginoise, les Siciliens avaient fait appel à Pyrrhos : ils lui offraient Syracuse, Agrigente et Léontinoi.

12 En 279 a.C.

13 Réflexion de Trogue Pompée ou peut-être de Justin qui rapporte une anecdote tirée d'une autre source que sa source principale.

14 Ptolémée II Philadelphe ; l'ambassade est de 273 a.C.

15 L'omen est un présage offert que l'observateur est libre d'accepter ou de refuser selon la signification qu'il lui donne. Ici, le don de couronnes d'or est accepté comme signifiant que la royauté d'Égypte passera aux Romains dans un futur indéterminé.

16 Ap. Claudius Pulcher Caecus, le fameux censeur de 312, qui avait été plusieurs fois consul par la suite, s'était opposé à la conclusion d'une paix avec Pyrrhos, entre la défaite d'Héraclée et la semi victoire d'Ausculum, en prononçant au sénat un discours resté célèbre.

17 En sept. 278 a.C. La suite des aventures de Pyrrhos, en Sicile, en Italie et en Grèce, est racontée par Justin aux livres XXIII et XXV.

18 Justin veut dire que les esclaves ont épousé les femmes de leurs anciens maîtres, bien que ce ne soit pas précisé.

19 Trogue Pompée a suivi ici une source favorable à Alexandre qui invente une "excuse" pour l'attitude du conquérant à l'égard de Tyr. Alexandre s'empara de Tyr en 332 a.C. Une autre version de la prise de Tyr se trouve supra,
11,10,6-14 (source probable : Clitarque d'Alexandrie).

20 Utique aurait été fondée vers 1100 a.C., un peu après Gadès, la plus ancienne colonie punique en occident, mais les plus anciennes traces archéologiques ne sont pas antérieures au VIIIe s.

21 Ce roi n'est pas nommé dans la tradition manuscrite : une glose ou une correction marginale multo, passée dans le texte de i, et corrigée par les edd. en Mutto tente de lui restituer son nom, mais la correction est difficilement acceptable. Ménandre d'Éphèse (c.200 a.C.), cité par Flavius Josèphe (App., 125), nomme Mattèn, ou Mettèn le prédécesseur de Pygmalion: "à Mattèn succéda Pygmalion qui vécut cinquante-six ans et régna quarante-sept ans. Dans la septième année de son règne, sa sœur s'enfuit et fonda en Libye la ville de Carthage". En fait, le roi dont il s'agit est sans doute Straton, à la succession duquel Trogue Pompée revient après deux digressions.

22 Le terme employé par Justin : gener, traduit ici le grec khdesth/s (tout parent par alliance), d'où le sens inhabituel.

23 Déjà la fides punica, qui trompe même les dieux Mânes !

24 Une tente nomade (mapalia), je suppose.

25 Cf. Virgile, Aen., 1, 441-445 :
Lucus in urbe fuit media, laetissimus umbrae,
quo primum iactati undis et turbine Poeni
effodere loco signum, quod regia Iuno
monstrarat, caput acris equi ; sic nam fore bello
egregiam et facilem uictu per saecula gentem
.
Ce type de présage et son interprétation semble plus latin que sémitique : Tite-Live (1,55,5-6) raconte qu'en creusant les fondations du Capitole, les terrassiers trouvèrent une tête d'homme aux traits intacts, présage qui fut interprété comme annonçant que la Ville sera à la tête du monde.

26 On voit que le prince troyen Énée, ancêtre de la nation romaine, n'apparaît pas dans cette version de l'histoire romanesque de la fondatrice de Carthage. L'histoire des amours d'Énée et de Didon-Élissa qui se termine par la mort tragique de la reine qui se tue par désespoir de la trahison d'Énée, se forme lentement chez les poètes latins, à partir de Naevius, pour trouver sa version définitive dans l'Énéide de Virgile.

27 L'historiographie antique s'accorde à donner une date haute à la fondation de Carthage. En ce qui concerne Justin, s'il reprend bien ici une datation de Trogue Pompée, et étant donné que ce dernier écrivait à une époque où les chronographes considéraient que Rome avait été fondée la troisième année de la sixième Olympiade (=754/3 a.C.), nous obtenons la date de 825/4 a.C. Au IIIe s. a.C., Timée de Tauromenion donnait comme date de fondation de Carthage et de Rome 38 ans avant la première Olympiade, c'est à dire 814 a.C. selon notre calendrier. Pour Velleius Paterculus (1,6,4), Carthage fut fondée 65 ans avant Rome ; pour Tite-Live, d'après la periocha 61, Carthage fut prise par Scipion Émilien (146 a.C.) 700 ans après sa fondation. Les premières traces archéologiques sur le site de Carthage ne remontent pas au delà de 750.

28 Les expéditions de Mazeos pourraient dater des environs de 550 a.C.

29 Le dieu phénicien Melqart, dont le nom signifie "maître de la cité", honoré à Tyr et à Carthage, a été assimilé par les Romains à Hercule.

30 Le discours est en style direct, ce qui n'est pas conforme aux principes de Trogue Pompée. Le développement ressemble à un exercice d'école et est peut-être une amplification de Justin.

31 La famille des Magonides est prépondérante à Carthage à partir de c.530.


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