3,1 Au milieu de cela, s'avance hors de son navire le généralissime sans ressources, vêtu d'une misérable tunique d'esclave ; à sa vue, les colonnes de pleureurs se rejoignent. 2 Lui, pour sa part, tendant les mains vers le ciel, déplore tantôt son sort, tantôt la fortune de l'état ; 3 tantôt il accuse les dieux qui ont enlevé de si grands honneurs militaires et tant d'ornements de victoire qu'eux-mêmes avaient donnés ; eux qui, après que tant de villes eurent été prises et que les ennemis eurent été vaincus tant de fois en combat terrestre ou naval, ont détruit, par la peste et non par la guerre, l'armée victorieuse. 4 Il apportait cependant à ses concitoyens une consolation qui n'était pas mince, à savoir que les ennemis pouvaient se réjouir de leurs malheurs, non s'en glorifier, 5 puisqu'ils ne pouvaient dire, ni que ceux qui étaient morts avaient été tués par eux, ni que ceux qui s'en étaient retourné avaient été mis en fuite par eux, 6 et que le butin qu'ils avaient enlevé du camp abandonné par lui n'était pas tel que celui que les vaincus présentent à leurs ennemis comme une dépouille, mais celui dont ils s'étaient emparé comme d'un bien sans maître, vacant à la suite de la mort fortuite de ses propriétaires. 6 En ce qui concernait les ennemis, ils s'étaient retirés vainqueurs, en ce qui concernait la peste, vaincus. 7 Cependant il ne supportait rien plus péniblement que le fait qu'il n'avait pu mourir au milieu d'hommes très courageux, et qu'il avait été sauvé non pour jouir de la vie, mais pour déplorer la catastrophe. 9 Cependant, quand il avait ramené à Carthage les restes misérables de ses troupes, il avait voulu suivre ses compagnons d'armes et se présenter à sa patrie, 10 non pas pour avoir vécu jusqu'à ce jour parce qu'il voulait vivre, mais afin de ne pas trahir par sa mort ceux que le monstrueux fléau avait épargnés, abandonnés au milieu des armées des ennemis.
11 Il marcha à travers la ville en criant de telles paroles ; quand il arriva au seuil de sa maison, il renvoya la foule qui le suivait en guise de dernier discours, et, ayant fermé les portes et n'ayant admis auprès de lui personne, pas même ses fils, il se donna la mort8.
1 Le terme dictatura employé par Justin, est le décalque du grec diktatwri/a, transcrit du latin, que Trogue Pompée a lu dans sa source, et doit correspondre à la magistrature exercée à Carthage par le suffète.
2 Le triomphe romain est considéré le plus souvent comme d'origine étrusque et l'ovatio proprement latine, en serait une forme indigène plus ancienne ; néanmoins, on trouve dans le commentaire de Servius au vers de l'Énéide (IV,37), où Virgile parle de la terre d'Afrique, riche en triomphes, la mention suivante : Quidem dicunt Afros numquam triumphasse : Plinius autem et Pompeius Trogus Afros dicunt pompam triumphi primos inuenisse quam sibi Romani postea uindicauerunt. Liuius autem Andronicus refert eos saepius de Romanis triumphasse suasque porticus Romanis spoliis adornasse (Certains disent que les Africains n'ont jamais célébré de triomphe : cependant Pline et Trogue Pompée disent qu'ils ont inventé les premiers la pompe du triomphe que les Romains ont revendiquée pour eux par la suite. Livius Andronicus, pour sa part, dit qu'ils triomphèrent bien souvent sur les Romains et qu'ils ornèrent leurs portiques des dépouilles des Romains).
3 Ruehl a écrit dans son édition ad * Leonidae fratrem et proposé, par ailleurs (Textesquellen... p.157), de restituer ad <Dorieum> Leonidae fratrem, conformément à l'idée que des noms propres ont sauté dans l'Abrégé, idée qu'il développe à cet endroit. Dorieus (cf. Hérodote, 5,39-47 et Diodore, 4,23,3) et Léonidas (488-480) était le fils de la première épouse du roi Agiade Anaxandride, tandis que Cléomène (c. 520-488 était le fils de la seconde épouse, prise par le roi sur l'ordre des éphores parce que la première était stérile au début du mariage, et l'aîné du roi. Furieux de se voir préférer Cléomène, Dorieus était parti à l'aventure en Cyrénaïque, puis s'était installé en Sicile sur le mont Éryx, où il avait fondé une cité, Héraclea ; les cités indépendantes de Sicile firent appel à lui contre les Carthaginois, vers 511, mais il fut tué et sa ville détruite par les Carthaginois et les Élymes.
4 Incapable de s'unir face aux Carthaginois, la Sicile fut en proie au VIe s. à des guerres entre cités et à des guerres civiles continuelles : Camarina et Sybaris furent détruites, Siris anéantie ; les tyrans, dont le plus cruel fut Phalaris d'Agigente se déchaînèrent les uns contre les autres.
5 L'ambassade serait un peu antérieure à la première guerre médique ; à cette époque, les cités phéniciennes de Méditerranée orientale en pleine expansion, dont Tyr, métropole de Carthage, et Sidon, étaient sujettes des Achéménides.
6 Bataille d'Himère, en 480 a.C. (cf. Hérodote, 7,165 ; Diodore, 11,20). Hamilcar est battu par le tyran Gélon de Syracuse ; en conséquence, les Carthaginois évacuent la Sicile, sauf Motyé, et l'activité des Magonides se tourne vers l'exploration de l'Afrique et des routes océaniques (Périple de Hannon, périple d'Himilcon) la conquête et le développement de l'arrière-pays africain de Carthage.
7 L'épidémie de 396 a.C., appelée "peste de Syracuse" et connue par la description de Diodore, résulte de l'addition de deux maladies communes aux sièges conduits en été dans les régions insalubres : le typhus et la dysenterie. Les pertes furent énormes (150 000 hommes) et ce qui restait de Carthaginois dut rembarquer (cf. Diodore, 13, 85-86 ; 14,40-77). L'allusion au siège infructueux de Syracuse introduit un long développement rhétorique sur les malheurs du général vaincu (cf. Diodore, 14,70). Justin a sauté tout ce que Trogue Pompée avait rapporté sur les conflits entre les cités de Sicile et les Carthaginois depuis la bataille d'Himère, et sur l'histoire interne des cités. L'expédition athénienne de 414 contre Syracuse épuise la cité qui avait exercé la prépondérance en Sicile au Ve s. et conduit l'expansion grecque au dépens des Carthaginois et des Étrusques, si bien que les Carthaginois reprennent l'offensive à partir de 409, en faisant débarquer une armée à Motyé ; en 408, Sélinonte est mise à sac, Himère est détruite et ses habitants massacrés ; en 406, Agrigente est prise, en 405, c'est le tour de Gela et de Camarina. Denys l'Ancien (405-367) doit reconnaître par traité aux Carthaginois la possession des 2/3 de la Sicile.
8 Selon Diodore (14,77), il se serait laissé mourir de faim.