Les Marseillais et leurs voisins 5,1 Après ces événements, ils eurent de grandes guerres avec les Ligures et avec les Gaulois ; cela augmenta la gloire de la ville et rendit, grâce à de multiples victoires, la valeur des Grecs célèbre chez leurs voisins. 2 Ils mirent souvent aussi en déroute des armées de Carthaginois, alors que la guerre était née de la capture de barques de pêcheurs, et ils accordèrent la paix aux vaincus. 3 Ils s'allièrent avec les Espagnols ; ils observèrent avec une loyauté extrême le traité conclu avec les Romains presque au début de la fondation de la ville et aidèrent activement leurs alliés dans toutes les guerres en leur fournissant des troupes auxiliaires. Cela augmenta leur confiance dans leurs forces et leur assura la paix du côté de leurs ennemis.
4 Donc, quand Marseille florissait d'une gloire vivace grâce à la renommée de ses exploits et à l'abondance de ses ressources et de ses hommes, les peuples voisins se réunissent soudain pour détruire la puissance de Marseille, comme pour éteindre un incendie qui les menaçait tous. 5 Du consentement de tous, le prince royal Catumandus est choisi comme chef, et, alors qu'il assiégeait la ville ennemie avec une grande armée composée d'hommes d'élite, il fut terrifié pendant son sommeil par l'apparition d'une femme, au visage farouche, qui disait être une déesse : il fit de lui-même la paix avec les Marseillais 6 et, alors qu'après avoir demandé l'autorisation d'entrer dans la ville et d'adorer ses dieux, il était venu dans le haut-lieu de Minerve, ayant aperçu sous le portique la statue de la déesse qu'il avait vue pendant son sommeil, il s'écrie soudain que c'est elle qui l'avait terrifié pendant la nuit, que c'est elle qui lui avait ordonné de lever le siège. 7 Ayant félicité les Marseillais parce qu'il avait constaté qu'ils étaient l'objet des soins des dieux immortels, après avoir offert un torque d'or à la déesse, il conclut une alliance perpétuelle avec les Marseillais.
8 La paix faite et la sécurité établie, les ambassadeurs des Marseillais, revenant de Delphes où ils avaient été envoyés porter des offrandes à Apollon, entendirent dire que la ville de Rome avait été prise et incendiée par les Gaulois. 9 Les Marseillais accompagnèrent d'un deuil public cet événement quand il fut annoncé chez eux, et ils rassemblèrent de l'or et de l'argent, tant public que privé pour compléter la somme pour les Gaulois auxquels ils savaient que la paix avait été achetée. 10 En mérite de quoi, on leur décréta l'immunité14 et on leur donna des places de spectacle dans les rangs du sénat et un traité sur un pied d'égalité fut conclu avec eux15.
Les origines familiales de Trogue Pompée 11 À la fin du livre, Trogue <dit que> ses ancêtres étaient d'origine voconce ; son arrière-grand-père16 Trogue Pompée avait reçu le droit de cité de Cn. Pompée pendant la guerre de Sertorius17; 12 son oncle18 avait conduit des turmes de cavaliers sous les ordres du même Pompée pendant la guerre de Mithridate19; quant à son père, il avait servi sous les ordres de C. César20 et avait eu la charge de la correspondance et des ambassades, en même temps que la garde de son anneau.
1 Le mythe de l'âge d'or et du règne de Saturne, dont la première formulation se trouve dans Hésiode est codifié dans l'Énéide de Virgile pour les Romains de l'époque augustéenne (Aen. 8,319-329).
2 C'est sur le Capitole que se trouvait le temple de Jupiter Capitolin, dédié en 509 a.C. selon la tradition.
3 Le deuxième roi légendaire était Picus, le père de Faunus (cf. Virgile, Aen., 7, 47-49), d'où l'interpolation des mss C et D, "Picus", qui est une glose passée dans le texte.
4 Fatuari est un dérivé de fatum, destin/prophétie ; l'idée que ce verbe serait un dénominatif d'un nom propre Fatua ne se retrouve pas ailleurs.
5 Dans l'Iliade, Énée est un prince troyen, descendant de Dardanos : il appartient à une branche cadette de la famille royale. Au chant XX, Énée combat Achille ; il est sauvé de la mort par Neptune qui lui promet qu'il régnera un jour sur les Troyens à la place des descendants de Priam. Le vers 307 est modifié à l'époque hellénistique pour promettre à Énée l'empire du monde : Trw/essin est remplacé par pa/ntessin.
6 On peut inférer de la prophétie de Neptune (Il. 20,307) que, dans le cycle de Troie, la branche cadette, c'est-à-dire Énée et ses descendants avaient régné sur Troie après le départ des Grecs (cf. Dèmètrios de Scepsis, Strabon, 13,1,52-53). Pour les Romains de l'époque d'Auguste, il existe au moins deux traditions contradictoires relatives à un départ d'Énée de Troie : Virgile (Aen. 2) montre Énée s'enfuyant de Troie au moment de l'incendie de la ville avec son père et ses amis sur l'ordre de Vénus ; Tite Live dit qu'après la prise de Troie deux princes seulement furent épargnés par les Grecs, Énée et Anténor (le fondateur de la nation vénète), en vertu d'un vieux droit d'hospitalité, et parce qu'ils avaient toujours conseillé de rendre Hélène.
7 Énée avait eu une première épouse, Créuse : elle disparaît au moment de la prise de Troie, soit morte, soit enlevée par le cortège de la Grande mère (Vgl., 2, 771-794) ; Ennius nomme l'épouse d'Énée Eurydice, peut-être un autre nom pour Créuse.
8 Énée était le père d'Ascagne, mais avec quelle épouse ? Devant les traditions contradictoires, Tite-Live pense qu'il y a deux Ascagne, l'un fils de Créuse, l'autre fils de Lavinia, et ne sait lequel des deux a régné sur Lavinium après Énée et est le fondateur d'Albe.
9 Justin joue sur le double sens de precario: à titre précaire et avec instance
10 Cf. la fable 20 de Phèdre (non ésopéenne) Canis parturiens, modèle de celle de La Fontaine, La lice et ses petits.
11 L'expression urbemque somno ac uino sepultam ... inuaderet est une réminiscence de Virgile : inuadunt urbem somno uinoque sepultam (Aen. 3,265) qui avait lui-même repris une expression d'Ennius : nunc hostes uino domiti somnoque sepulti (Ann., 292).
12 Ligures ou Ségobriges ? une erreur de Justin sans doute, car ensuite (5,1) on voit bien qu'il y a contre Marseille et des Ligures et des Gaulois (les Ségobriges). Les Ligures ne sont pas des Gaulois.
13 Hysteron proteron.
14 Cette reconnaissance de Marseille comme ciuitas libera et immunis est évidemment anachronique.
15 Il manque la fin de l'histoire de la Marseille indépendante, sautée par Justin, à moins, plutôt, que Trogue Pompée ait préféré ne pas parler du siège de la ville par César.
16 La leçon auum adoptée par les edd. précédents est une faute transversale de ti qui résulte d'une correction ad sensum de leurs ancêtres respectifs, correction fondée sur la suite du texte qui fait allusion successivement à l'oncle et au père de Trogue Pompée, avec un chaînon manquant dans cette généalogie : le grand-père. La bonne leçon est proauum (arrière-grand-père).
17 En 77 a.C., Pompée est envoyé en Espagne avec un imperium proconsulaire (gouverneur d'Espagne citérieure), sur le conseil du consulaire Marcius Philippus. Il ouvre une route nouvelle à travers les Alpes (Mt Cenis?), et hiverne en Narbonnaise, qu'il "pacifie". La guerre contre Sertorius se termine en 71 après le meurtre du général marianiste et celui de son assassin Perperna.
18 Il n'est pas sûr que patruus soit à comprendre ici dans son sens classique "oncle paternel" : il peut s'agir d'un grand-oncle (texte abrégé), voire d'un oncle maternel (sens tardif).
19 66-63 a.C.
20 La notice qui se rapporte au père de l'historien est comprise par tous les commentateurs comme se rapportant à César l'Ancien, pendant la guerre des Gaules ; cependant, César n'est pas habituellement nommé C. Caesar, mais Caesar tout court (42,4,6 et Prol. 40, et cf. Velléius, Florus...). Auguste est nommé soit Caesar, soit Augustus (42 et 44 passim). Deux membres de la gens Iulia sont nommés dans les textes C. Caesar : le fils de Julie et d'Agrippa, adopté par Auguste avec son frère Lucius, et l'empereur Caligula. Cet usage onomastique donne à penser que le père de Trogue Pompée a pu faire partie de l'entourage de C. César, le fils adoptif d'Auguste, pendant l'expédition d'Orient (1 a.C.-1 p.C.) au cours de laquelle le prince rencontra le roi Phraate V Arsace XV (Phraatace), sur une île au milieu de l'Euphrate, admis comme la frontière des deux empires. Le père de Trogue Pompée aurait été alors un homme âgé, qui aurait pu être auparavant un collaborateur d'Agrippa, père du prince.